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atelier rue colas
31 janvier 2009

Du racisme ordinaire

"L'homme doit assumer sa responsabilité quant aux liens - tantôt visibles, tantôt invisibles - dont l'ensemble confère un sens à la vie." Aminata Traoré . Le viol de l'imaginaire. Fayard, 2002.

21 janvier, ( date anniversaire de la mort du bon roy Louis XVI ), 2009, un homme d'origine africaine devient le 44ème président de la première puissance mondiale... et pourtant.

Ce que tous annoncent comme une révolution des esprits n'annonce pas pour autant une élévation des consciences. Les rues de Montbrison, les bars alentours, réservent aux âmes sensibles des relents post colonialistes. Ici un nègre banania, là un nègre palace, et conséquemment la promotion d'une nuit du reggae par voie d'affiches où le Rasta, nez largement épaté, lèvres pendantes, barbe chevrotante, nous renvoie inlassablement à un siècle révolu, cette affiche doit disparaitre. C'est insupportable.

Regardons cette affiche de près. En quoi reflète-t-elle l'esprit reggae tel qu'aurait pu le définir le plus fameux des Rastas, Bob Marley ? Le facies du personnage paraît tout droit sorti de la pire description du nègre décrite par des ethnologues du XIXème siècle : " la mâchoire inférieure avance en saillie, le crâne affecte cette forme que l'on a appelée prognathe, et quant à la stature, elle n'est pas moins particulière (...) Quand l'oeil s'est fixé un instant sur un individu ainsi conformé, l'esprit se rappelle involontairement la stature du singe..." voilà ce que l'on pouvait lire à l'époque dans l' Essai sur l'inégalité des races humaines de Joseph Arthur Gobineau. En fait " ce sont les nègres les plus laids qu'on puisse rencontrer " ajoute le Dr Bordier dans la Colonisation scientifique à la même époque. Assimilé ainsi le Rastaman à cette caricature, en ce début de XXIème siècle, c'est faire insulte au bon sens et la pire des hypocrisie. Cette affiche stigmatise tout un peuple, bien au delà des Rastas. Quant au fond couleur de cette affiche enveloppée dans un tourbillon au vert sale, il ne fait qu'amplifier cette idée de dégénérescence dans une fumée crasse.

Bien loin de servir un projet culturel louable et généreux, elle banalise le sentiment d'un nègre inférieur, animalisé, ou comment la communication dessert le communicant. Cette affiche doit disparaître ! Il serait impensable d'utiliser la caricature d'un juif au nez allongé, aux doigts crochus, pour promouvoir la culture yiddish, ou encore un arabe au poignard effilé, à la barbe drue pour une soirée raï... Ces portraits ont un air de déjà vu...

La culture des Rastafariens aussi a le droit au respect. Pour ceux qui aurait encore un doute quant à la réalité de cette culture je ne puis que conseiller de faire l'effort de lire l'étude de Giulia Bonacci, Exodus ! L'histoire du retour des Rastafariens en Ethiopie parue aux éditions Scali en février 2008, ( bien qu'il y ait 789 pages ), recherche réalisée dans le cadre de sa thèse à l'EHESS, par cette historienne audacieuse spécialiste de l'Afrique et des diasporas africaines.

Comment se fait-il que nos politiques, qui prônent aujourd'hui et à l'unisson la fin de la lutte des races, ne soient pas au fait de ces évidences ? Sont-ils trop occupés, mal conseillés, simplement ignorants du pouvoir des images dans " la société du spectacle intégré " à moins que pour citer Debord, encore, " l'imbécilité croit que tout est clair, quand la télévision a montré une belle image, et l'a commentée d'un hardi mensonge ".

Combien d'historiens, de sociologues, de philosophes, n'ont-ils pas dénoncé le caractère profondément raciste et discriminant de ces icônes médiatiques, ainsi que leur imprégnation insidueuse dans l'inconscient collectif, et plus particulièrement celui des plus jeunes ?

Cet affichage doit disparaître. Les livres, la culture, ne sont pas l'apanage des intellectuels intellectualisant comme d'aucun voudrait nous le faire croire, mais un héritage universel. Seuls des politiques désireux d'un pouvoir absolu laisse la population dans l'ignorance. Cette ignorance, qui a le pouvoir de transformer des gens sincères en malheureux hypocrites ( ou pire, en bourreaux ) au regard de ceux qui possèdent certains savoirs. C'est de pédagogie, d'éducation dont il est question, non de vulgaire propagande mercantile.

Certes les jeunes foréziens ne sont certainement pas au fait des dernières parutions et peuvent se contenter d'une affiche en couleur où ils ne voient qu'un appel à concert mais que penser de leurs aînés qui ne prennent pas en considération le ressenti d'un historien tel que Pap Ndiaye qui réaffirme, après bien d'autres, dans La Condition Noire, Calmann-Levy, 2008, page 215 : " On dit fréquemment, et à juste titre, que c'est à partir de la Première Guerre mondiale, dans le contexte de la mobilisation des troupes coloniales, que l'image des Noirs évolua, des " sauvages " cannibales des descriptions de voyageurs ou des romans de Pierre Loti aux tirailleurs " y a bon Banania ", frustes mais braves et utiles pour peu qu'ils fussent bien encadrés. (...) Le racisme antinoir puise dans deux répertoires raciste : celui du brave tirailleur (enfantin) et celui du sauvage (dangereux), dans des combinaisons qui varient selon les circonstances ". Encore une fois cette affiche doit disparaître !

Les premières nuits du reggae s'appelaient "suns splash", et cette affiche loin de répandre une lumière solaire sur la plaine de Montbrison ne fait qu'assombrir l'horizon des monts du Forez. Le publicitaire qui a créé cette affiche connait-il si bien sa cible qu'il se permette une telle caricature sans craindre l'opprobe et le discrédit ?

En simple citoyen, je vous citerai Senghor dans sa colère, bien que je préfère Césaire et de loin, pour en finir avec cette affiche. Eux, qui en leur temps se heurtaient déjà la tête contre des murs, sans souffrir pour autant une quelquonque et antinomique discrimination positive:

" Je déchirerai les rires banania de tous les murs de France ! ".

NB : Cette affiche était encore visible sur le site de la ville de Montbrison il y a peu, elle a été retirée depuis cette levée de bouclier, cependant elle est encore visible sur bien des murs.

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