Quand j'ai découvert l'art nègre
"Quand j'ai découvert l'art nègre, il y a quarante ans, et que j'ai peint ce qu'on appelle mon Epoque nègre c'était pour m'opposer à ce qu'on appelait « beauté » dans les musées. A ce moment là, pour la plupart des gens, un masque nègre n'était qu'un objet ethnographique. Quand je me suis rendu pour la première fois avec Derain au musée du Trocadéro, une odeur de moisi et d'abandon m'a saisi à la gorge. J'étais si déprimé que j'aurais voulu partir tout de suite. Mais je me suis forcé à rester, à examiner ces masques, tous ces objets que que des hommes avaient exécutés dans un dessein sacré, magique, pour qu'il servent d'intermédiaires entre eux et les forces inconnues, hostiles, qui les entouraient, tâchant ainsi de surmonter leur frayeur en leur donnant couleur et forme. Et alors j'ai compris que c'était le sens même de la peinture. Ce n'est pas un processus esthétique; c'est une forme de magie qui s'interpose entre l'univers hostile et nous, une façon de saisir le pouvoir, en imposant une forme à nos terreurs comme à nos désirs. Le jour où j'ai compris cela, je sus que j'avais trouvé mon chemin."
Gilot Françoise, Lake Carlton, Vivre avec Picasso, Calmann-Lévy, 1965.